Sciences nationales ou science européenne

Publié le par Paul-Henri Bourrelier

Intervention d'Alexandre Moatti, ingénieur au corps des mines, ancien SG du comité de pilotage Bibliothèque Numérique Européenne et conseiller pour les systèmes d’information et d’innovation, actuellement président de la Société des amis de la bibliothèque de l’X, auteur de : Einstein, un siècle contre lui

Alexandre Moatti dresse d’abord un tableau de la science qui, à la fin du XIXe siècle, bénéficiait d’une intense fertilisation croisée au niveau européen : on peut citer les équations de l’électromagnétisme du britannique Maxwell illustrées par les premières ondes découvertes par l’allemand Hertz, les rayons X de l’allemand Röntgen inspirant la découverte de la radioactivité par Becquerel et les Curie,… Le premier « congrès Solvay », qui réunit les sommités scientifiques de chaque pays européen, se tient à Bruxelles en 1911. Les échanges scientifiques européens cesseront avec la Grande Guerre qui verra nombre de scientifiques des différents pays adopter des attitudes étroitement nationalistes, faire d’étonnantes déclarations ou publications : on citera par exemple côté allemand le fameux appel « An die Kulturwelt » signé par 93 personnalités du monde intellectuel et scientifique[1], côté anglais le manifeste du Times et l’article de sir William Ramsay dans Nature en octobre 1914, côté français la campagne de 1915 de l’Institut et de l’Académie des sciences menée contre « la science allemande » .

Les premiers signes d’une timide renaissance d’un esprit scientifique européen se manifesteront en 1919 sous la forme d’une mission astronomique de la Royal Astronomy Society, menée par Arthur Eddington, dédiée à la vérification de la relativité générale d’Einstein : à noter d’ailleurs que les deux savants, Einstein comme Eddington, avaient été des pacifistes pendant la Guerre (Eddington était un quaker).

On peut lire l’intérêt que porte Gaston Moch à la relativité, avec l’ouvrage La relativité des phénomènes qu’il publie chez Flammarion en 1921, à la lumière de ce contexte et de ses engagements personnels :

­La relativité est l’occasion de l’amorce d’une reconstruction de la coopération scientifique européenne : c’est ainsi que Langevin en France et Rathenau en Allemagne favorisent la visite d’Einstein à Paris en mars-avril 1922.

­C’est l’occasion pour Moch de s’intéresser de nouveau à la science, qu’il avait délaissé à sa sortie de Polytechnique, en 1882. L’École polytechnique, à partir de la guerre de 1870, avait porté l’effort vers la formation d’officiers et non plus de savants : Gaston Moch en est un exemple, comme d’autres tels les futurs maréchaux Foch ou Joffre.

En résumé, même si son livre ne restera pas forcément dans les annales (à noter toutefois que Gustave Le Bon s’en sert pour agresser Einstein dans une lettre qu’il lui adresse en juillet 19221 : «  Mais vous lisez au moins [les livres] consacrés à vanter vos doctrines, surtout quand ils sont écrits par un coreligionnaire. Donc vous ne pouvez ignorer le livre de M. Moch sur la relativité »), on peut légitimement penser que la relativité a été un truchement pour Gaston Moch afin de faire avancer ses idées en faveur de l’Europe.

 



[1] Sur le manifeste des 93, comme sur l’échange de correspondances Einstein-Le Bon, on pourra consulter Einstein, un siècle contre lui, Alexandre Moatti (Odile Jacob, 2007).

Publié dans La PAIX et l'ARMEE

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A
La question du nationalisme en science pendant la WWI est un sujet très intéressant, que j'ai esquissé dans mon livre "Einstein, un siècle contre lui", et développé plus avant dans un séminaire à l'EHESS. Les scientifiques allemands, anglais, français ont pris fait et cause pour leur camp, avec des arguments mettant en valeur leur culture et leur science nationales et dénigrant celle du camp adverse. Le dénigrement est d'ailleurs surtout sensible chez les savants et intellectuels britanniques et français, moins dans le "Déclaration des 93" allemande qui est plus défensive.
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